L'amour verre d'eau et la monogamie succ
par Sylvie Braibant
En 1901, alors qu'il écrivait son livre fondateur "Que faire ?" Vladimir Ilitch Lenine rendait implicitement hommage au maître à penser de sa jeunesse. Le philosophe Nikolaï Gavrilievitch Tchernychevski, 40 ans plus tôt, en 1862 avait achevé son "Que faire ?". Dans les deux cas, le point d'interrogation est réthorique : la forme employée du verbe faire est impérative et indique : voici ce qu'il faut faire. Le roman du philosophe enthousiasma la jeunesse de Saint-Petersbourg et au delà. Il conduisit l'auteur en prison, où il convertissait des gros durs, des condamnés de droit commun à ses idées révolutionnaires. Une utopie sociale, économique, amoureuse, tissée principalement par trois personnages, deux hommes, une femme, combinant un parfait triangle amoureux. Sans cette figure géométrique, la révolution ne pourrait advenir édictait le penseur.
Un triangle amoureux à géométrie variable
Tchernychevski, qui avouait avoir une passion pour les mathématiques, soutenait la thèse suivante : un trio, plutôt qu'un couple, composé toujours de deux hommes et une femme, serait mieux armé pour avancer, créer, travailler, aimer, les hommes se relayant pour la partie sexuelle de la cellule familiale, permettant ainsi à celui qui en était "dispensé" de donner toute sa mesure aux activités professionnelles, et à la femme de ne pas s'épuiser en quête sentimentale ou sensuelle pour être, elle aussi, libre de travailler.
Son calcul reposait sur la conviction que les besoins sexuels des femmes sont bien plus importants que ceux des hommes. Et à ses compagnons de bagne qui lui demandaient, assis en rond autour de lui, comment on y arriverait puisque les femmes étaient aussi nombreuses (sinon légèrement plus) que les hommes, le philosophe mathématicien répondait sereinement et avec évidence, qu'il y aurait aussi relais entre les femmes, indiposées une semaine par mois, sans compter les trop âgées, moins demandantes. Et les gros durs comptaient sur leurs doigts, toujours songeurs...
Les membres de la cellule familiale ainsi définie devaient disposer chacun de leur chambre, cette chambre à soi si chère à Virginia Woolf, dont les portes étaient fermées pour indiquer qu'on souhaitait rester tranquille - il était impératif de frapper ou de demander l'autorisation d'entrer. Le trio établi, sa composition n'était pas définitive, il pouvait se remodeler au gré des rencontres et des désirs. Tchernychevsky lui même expérimenta cette organisation, dans une combinaison où sa femme et lui même restaient fixes tandis que les amants de madame se succédaient. Ils eurent trois enfants, que Nikolaï Gavrilievitch éleva consciensieusement sans être sûr d'être le père, mais il n'en avait cure... Posséder les êtres n'était pas son but.
Sur le papier, l'architecture semble impeccable et on envie de crier : "Bon sang, mais c'est bien sûr !". Les féministes s'enthousiasmèrent, les révolutionnaires de toute obédience aussi. Le livre écrit dans la forteresse Pierre et Paul, prison de Saint-Petersbourg, en sortit clandestinement, fut imprimé et devint le best-seller russe de la décennie 1860 - 1870.
Des mauvaise langues écrivirent toutefois que l'écrivain accueillit avec un certain soulagement son emprisonnement puis son bannissement loin de la capitale, heureux d'échapper à ces contraintes dans lesquelles il s'était quelque peu enfermé...
Femmes nouvelles, hommes nouveaux, en route pour un futur radieux
Aussi lorsque Lénine, marié à Nadejda Kroupskaïa, pédagogue et surtout étroite collaboratrice de son mari, tomba amoureux de la féministe Inessa Armand, elle aussi brillante et révolutionnaire, il pensait peut-être mettre en pratique les théories de son mentor... Sauf qu'il s'agissait d'un triangle inversé deux femmes, un homme, ce qui est beaucoup plus banal et admis un peu partout dans le monde. La chose est plus intéressante du côte de Inessa Armand qui n'abandonna pas non plus son mari et qui, de fait, se retrouvait dans un schéma "tchernychevskien"...
Au coeur de l'invention complexe de ces figures humaines complexes, il y avait les femmes nouvelles et les hommes nouveaux, pour lesquels les priorités devaient changer, ces humain.e.s personnes d'un projet total de société, neuve elle aussi. v
Alexandra Kollontaï
Alexandra Kollontaï avait, bien entendu, comme tous les jeunes nobles de sa génération, dévoré le premier Que faire ? , celui de 1862. Mais ce qui l'avait intéressé dans ce roman c'était surtout l'utopie du travail, pour les femmes, qu'il proposait : la création de coopératives de travailleuses, mais aussi cette émancipation du carcan sentimental pour vivre plus libre. Et elle s'empressa, à son tour, de réinventer ces "femmes nouvelles" : "(Les femmes nouvelles), c'est un nouveau, un "cinquième" type d'héroïnes, inconnu auparavant, un type d'héroïnes avec ses propres exigences devant la vie, un type qui affirme sa personnalité, qui proteste contre le multiple asservissement de la femme dans l'État, dans la famille, dans la société, un type qui lutte pour ses droits et qui représente le sexe. "Femmes célibataires", tel est le nom qu'on donne de plus en plus souvent à ce type."
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7 years ago